Marie Arnould, rédactrice en chef du magazine des Quatre saisons, ne m’en voudra sûrement pas de plagier le titre de son avant-dernier édito. Il résume parfaitement le fond de ma pensée et l’objet de ce billet politiquement incorrect qui rappelle l’urgence de passer à l’action. Les grandes villes ont pris le problème à bras le corps et planteront cet hiver encore des milliers d’arbres pour anticiper la fournaise qui s’annonce. Les campagnes par contre restent là la traîne, tergiversent ou freinent des quatre fers: « Les arbres, y’en a bien assez dans la forêt! A quoi bon s’encombrer d’une source de travail et d’ennuis potentiels ? » Autrement dit, le vieux tilleul devra se passer de relève, le banc de poésie et les vaches de parasol.

Rien de tel en Grande-Bretagne d’où je suis revenue le cœur content : là-bas, après Charles III, c’est le végétal qui est roi. Le bocage s’étend à l’infini, les haies champêtres forment des remparts infranchissables le long des routes et des pâturages, les chênes multi-centenaires se comptent par millions et leurs voûtes rassurantes ombragent cyclistes et piétons, les cottages disparaissent sous les rosiers-lianes et les frondaisons.

A quoi tient donc cette différence culturelle ? Pourquoi avons-nous une telle angoisse des branches qui dépassent et des feuilles qui tombent, alors que les britanniques, bien plus exposés que nous aux tempêtes, s’entourent de colosses aux bras gigantesques ? Le présent leur donne pourtant déjà raison: on n’a rien inventé de mieux qu’un arbre pour rafraîchir l’atmosphère, abriter les oiseaux , stocker du carbone et nous remplir de bien-être.

Je me permets donc d’insister lourdement : les arbres, c’est maintenant qu’il faut les planter! A défaut de l’avoir fait il y a 20 ans… Au Jardin sauvage, on s’en mord d’ailleurs les doigts car ce nouvel été caniculaire a grillé des pans entiers de pelouse, affaibli les pommiers, achevé des sureaux et révélé les limites des amélanchiers, que l’on croyait pourtant capable de résister aux coups de chaleur. Il est donc urgent de pallier au manque d’ombre en bouchant les derniers trous et en densifiant encore et encore tous les étages de la végétation selon le modèle du jardin-forêt, dont nous voyons les bénéfices depuis sept ans.

Pour l’heure, une kyrielle d’espèces plus ou moins originales attendent en pépinière ou dans la serre le moment de rejoindre leur emplacement idéal au jardin. Mais cool Raoul, la saison des plantations vient tout juste de commencer : il n’y a que moi qui piaffe d’impatience.

Foire aux questions

Quel est le meilleur moment pour planter?

Dès que les arbres ont perdu naturellement leurs feuilles et stocké leurs réserves dans leurs racines, ce qui autorise les plantations «à racines nues». La période de plantation des arbres fruitiers ou ornementaux classiques s’étend durant toute la saison froide, de novembre à mars, mais mieux vaut planter le plus tôt possible – et toujours en période hors gel- car les racines de l’arbre continuent à se renouveler et pousser en hiver : cela lui permettra de mieux résister aux prochains pics de chaleur, sans pour autant nous épargner quelques arrosages au cours de l’été. Les espèces méditerranéennes et exotiques (figuier, vigne, plaqueminier, olivier…), plus sensibles au froid, devraient par contre plutôt être plantées en mars-avril.

Quelles espèces choisir?

Tout dépend de votre situation géographique, du type de sol et de vos goûts. Au pied du Jura, nous avons un sol sableux donc très drainant et peu de pluie, ce qui rend les conditions de vie très difficiles pour nos arbres fruitiers en été. Nous craignons même avoir à faire le deuil des pommiers et des poiriers dans quelques années. Les Prunus (cerisiers, griottiers, pruniers, mirabelliers,…) s’en sortent beaucoup mieux et les espèces méridionales, comme les plaqueminiers (kaki), pêchers de vigne, nectariniers, muriers (Morus nigra et alba) et vignes n’ont pas souffert le moins du monde des pics de chaleur. Si votre sol est argileux (terre lourde), les racines auront davantage d’eau à disposition pour traverser les épisodes de chaleur, ce qui pourra orienter vos choix différemment.

Pour vous aider, regardez dans le voisinage quels sont les arbres qui ont bien supporté l’été et renseignez-vous toujours sur les exigences écologiques des espèces que vous souhaitez accueillir. Le pH de votre sol peut aussi être un facteur limitant: les châtaigniers par exemple supportent mal le calcaire, au même titre que les myrtilliers qui aiment les sols siliceux.

Des arbres qui poussent vite ?

Si on est pressé d’avoir de l’ombre, mieux vaut miser sur un murier (Morus sp) que sur un olivier, sur un cerisier plutôt que sur un poirier. Mais si on a de la place, autant diversifier au maximum les espèces, formes et variétés car en matière de résilience aux changements climatiques, on part vraiment dans l’inconnu. On peut se laisser tenter en pépinière par des arbres/arbustes qui sont déjà grands, mais ce n’est pas forcément un bon choix : les jeunes plants ont généralement une meilleure reprise que les plus âgés, et en plus ils coutent moins cher ! Dans le cas d’un arbre fruitier, la vigueur du porte-greffe et  la variété choisie ont bien sûr aussi une influence sur la croissance, la hauteur maximale et le port de l’arbre. Un fruitier basse-tige ou mi-tige fournira moins d’ombre et vivra moins longtemps, mais produira plus vite des fruits: au Jardin sauvage, nous en avons planté tout autour des potagers.

Quelle distance entre les arbres ?

Pour ma part, je ne respecte plus du tout les distances de plantations communément prescrites dans les manuels, à savoir env. 8 m pour les pruniers, 10 pour les cerisiers, 12 pour les noyers… Notre étalon est désormais le hamac, soit un écart idéal d’environ 4,5 mètres pour le suspendre entre deux troncs. On n’hésite pas non plus à planter un jeune arbre au pied d’un vieux, pour assurer sa relève en cas de mort prématurée: si nous avions pris cette précaution il y a vingt ans, nous ne manquerions pas d’ombre aujourd’hui! Les études actuelles tendent aussi à confirmer que les végétaux, toutes espèces confondues, s’entraident plus qu’ils ne se concurrencent, ce qui nous encourage à les lier d’amitié dès leur plus jeune âge.

Des précautions au moment de la plantation?

On prépare un trou au fond et aux parois bien ameublies, plus large et plus profond que le volume des racines. On plante l’arbre jusqu’au collet après avoir coupé l’extrémité desséchée des racines. Idéalement, on les pralinera avec un mélange de bouse, d’argile et d’eau pour stimuler leur développement. On rebouche, on met une bonne pelletée de compost en surface (ou mélangé à la terre), puis on arrose abondamment.

Faut-il couvrir le sol ?

Toujours! Pas question de laisser le sol nu au pied de l’arbre. En général, je couvre le sol d’un carton pour maintenir l’humidité et limiter la repousse de l’herbe qui concurrence fort les jeunes arbres les 2-3 premières années. Puis je cache le carton sous un broyat de branches et de feuilles mortes. Si j’ai déjà des vivaces (par ex. géranium sanguin, fougère, sauge, romarin, épimedium, menthe, rhubarbe, iris…), des petits fruits (cassis, groseilles, framboisiers…) ou arbustes prêts à planter, je les installe directement autour du jeune arbre, piquetés dans le carton, à partir de 40 cm du tronc.

Où se procurer les arbres ?

Une pépinière spécialisée en arbres fruitiers sera toujours de meilleur conseil qu’un garden-centre généraliste. En qualité bio en Suisse romande, on peut citer l’association Retropomme à Neuchâtel et Europlant à Vich (VD). Sachez aussi que dès l’automne 2024, vous pourrez trouver un très grand choix d’anciennes variétés d’arbres fruitiers, d’espèces méridionales et exotiques, de petits fruits et de lianes dans la « Pépinière du Suchet », en cours de création à L’Abergement, à 200 m du Jardin sauvage. Mieux encore : pensez à multiplier vous-même vos arbres et arbustes par semis, greffe ou bouturage selon les espèces. Le jeu est passionnant, pas très difficile et engendre de belles économies.