On a tous a eu un plat de prédilection durant l’enfance. Pour ma part, c’était l’annonce de « chicons dans du jambon », ainsi bien nommés par ma maman, qui me précipitait à table et m’ouvrait un appétit d’ogresse. Rien d’étonnant de la part d’une belge, puisque c’est bien dans le plat pays de Jacques Brel qu’un certain Franciscus Breziers, chef jardinier du Jardin botanique de Bruxelles, aurait découvert par hasard en 1850 le secret du forçage de la chicorée (Cychorium intybus var foliosum) puis l’aurait systématisé en cultivant sa racine en hiver, à l’abri du gel et de la lumière. J’ignorais à l’époque que bien des décennies plus tard, je récolterai à deux pas de la cuisine mes propres chicons, qu’il m’a bien fallu rebaptiser «endives» sitôt franchies les frontières de la France et de la Suisse.

Nos premiers essais ne furent guère productifs. Les plants rescapés des limaces au printemps et des campagnols en automne ne nous offraient dans l’obscurité de la buanderie que quelques maigres endives, mais tellement bonnes et si peu amères que nous avons persévéré. Depuis deux ans, notre technique s’est affinée et nous nous régalons de janvier à mars d’endives dodues à souhait, croquées en salade ou cuites à toutes les sauces. Au point que j’ose aujourd’hui vous encourager à vous lancer dans cette culture de longue haleine, mais tellement gratifiante.

Démarrer
Semez les graines d’endives en lignes en début mai (par ex. variété Di Bruxelles ou Macun Ks de chez Sativa). Il faudra éclaircir les plantules à 10-15 cm au stade 3 feuilles, mais méfiez-vous des limaces si elles vous proposent leur aide.

Laisser pousser
La croissance des endives est très lente. Evitez-leur de mourir de soif en été, puis oubliez-les juste ce qu’il faut pour ne pas laisser le champ libre aux campagnols. Donnez-leur rendez-vous en novembre à la condition qu’elles aient de belles racines.

Parer
En novembre, déterrez les racines et coupez les feuilles à 2 ou 3 cm au dessus du collet. Eliminez aussi les petites racines adventices et extrémités fourchues. Exposez les racines quelques jours à de petites gelées avant de les rentrer. Selon les maraîchers, ce stress stimule la plante et évite l’ouverture en “tulipe” des chicons en fin de forçage.

Forcer
Placez les racines ainsi parées côte à côte dans un grand contenant (type pot de fleur) rempli d’un mélange de terre et compost. Enfoncez les au 3/4 dans la terre ou carrément jusqu’au collet. Placez le pot dans une pièce tempérée de la maison et couvrez-le avec un grand carton. Otez le couvercle de temps en temps pour arroser. Ainsi maintenues dans l’obscurité, les endives vont produire un feuillage blanc et très compact, et former au bout de 4 à 5 semaines de bien jolis chicons. Si vous ne rentrez pas toutes vos racines en même temps, vous pourrez prolonger la récolte d’autant.

Récolter
Coupez les chicons au collet au fur et à mesure de vos besoins, en veillant à ce que l’air puisse bien circuler entre ceux restés en place. N’arrachez pas les racines tout de suite car il y a en général une seconde repousse, moins généreuse mais très appréciée quand même.

Déguster
Inutile de vous dire que les endives “faites maison” sont bien plus savoureuses que celles du commerce!  Au delà des fameuses et populaires endives au jambon, les chicons se prêtent à une de multitude de recettes. Parmi mes préférées, une des plus simples: la salade d’endives au roquefort, noix et pamplemousse.

 

Pour l’heure, la saison de nos endives touche à sa fin. Les racines épuisées rejoindront le compost, sauf les plus belles qui seront replantées dans les massifs: elles donneront encore de jolies fleurs bleues qui feront le bonheur des abeilles.

En guise de bilan à ces dix mois de culture, il ne me reste plus qu’à vous suggérer de commander des graines sans plus tarder!

 

Le saviez-vous?

La chicorée sauvage (Cychorium intybus) est une plante bien de chez nous qui se rencontre sur les bords de route, les friches et les lieux incultes. La première année elle forme une rosette de feuilles basilaires puis dès la seconde élève une hampe florale de près d’un mètre de haut, où s’échelonnent de magnifiques fleurs type pissenlit, sauf qu’elles sont bleues! 

Au Moyen-Age, elle était déjà cultivée comme plante médicinale et ses racines utilisées en décoction. Plus tard, c’est bien cette jolie sauvageonne qui sera à l’origine des cultivars d’endives et autres salades amères.