J’aime les chardons. Cette déclaration peut surprendre tant ces plantes épineuses ont mauvaise presse. On leur reproche en vrac de piquer, d’envahir les champs cultivés, de ne pas être bons à brouter. Fustigés par les services agricoles, le cirse commun (Cirsium vulgare) et le cirse des champs (Cirsium arvense) figurent ainsi sur la liste des plantes à abattre et nos administrations somment le bon citoyen de les détruire et les exclure de son jardin. Oui mais voilà : si l’agriculture déroule des boulevards de terre nue aux chardons, c’est normal s’ils en profitent puisque ce sont des espèces pionnières par excellence. Oui mais encore : sans chardons en été, moins de papillons, de bourdons et de chardonnerets à la clé. Oui mais surtout : il existe en Suisse plus de 20 espèces de chardons ou apparentés et on aurait bien tort de tous les mettre dans le même panier.
Ainsi donc, je tiens à vous présenter trois sauvageonnes aux épines acérées qui flirtent aux plus hautes marches de notre jardin estival.
Le chardon des ânes (Onopordon acanthium)
Deux mètres nonante cinq du pied à la plus haute tête. Pas moins. Cette année, nos chardons des ânes battent tous les records ! Pourtant la Flora helvetica, notre bible nationale des plantes sauvages ne lui concède qu’un petit mètre cinquante. C’est sans compter sur la terre fertile du potager et du poulailler où ces chardons géants feutrés de blanc forment des allées d’honneur à Georges et à sa suite, à défaut d’âne à se mettre sous les piquants.
Il y a 15 ans, je l’avais semé une première fois dans la zone la plus sèche et graveleuse du jardin, croyant répondre au mieux à ses exigences. Il s’y est plu, certes, mais dès l’année suivante, n’en a fait qu’à sa tête. Depuis lors, il voyage et germe où bon lui semble, créant la surprise à chaque fois. Je lui pardonne son impertinence et admire son aptitude à construire des chandeliers monumentaux qui donnent du corps aux massifs, attirent les butineurs et offrent aux passereaux des graines à profusion. La sécheresse ? Le chardon des ânes s’en fout royalement et le prouve en se hissant de plus belle pendant que ses voisines s’affaissent à vue d’œil sous les rayons brûlants. Les rafales ? Même pas peur! Ce géant ne se laisse pas démonter facilement et tout au plus, s’incline modestement…
Le chardon-marie (Silybum marianum)
Autre chardon des friches et lieux incultes, plutot rare en Suisse comme son prédécesseur, le chardon-marie est superbe lui aussi, mais à un autre niveau : c’est son feuillage coriace aux belles marbrures blanches qui séduit instantanément. Plutôt que de viser les sommets, la plante a tendance à s’étaler en tous sens et offre ses capitules à hauteur d’yeux, ce qui facilite grandement leur cueillette. Le chardon-marie est en effet une plante médicinale pleine de vertus, grâce à la silymarine, le principe actif contenu dans ses graines. Réduites en poudre, elles sont particulièrement réputées pour soigner les troubles du foie et de la digestion, et auraient des propriétés anti-inflammatoires. Du coup, je fais régulièrement la tournée des massifs pour récolter les capitules mûrs à point dans un grand sac en papier, où ils lâcheront peu à peu leurs graines plumeuses. Les pétioles du chardon-marie peuvent également être consommés comme des cardons (lire Opération cardons): j’ai essayé, mais honnêtement, je préfère la version cultivée.
La cardère sauvage (Dipsacus fullonum)
Cette plante là, je suis sûre que vous la connaissez pour l’avoir déjà aperçue dans les jachères florales ou les bouquets secs des fleuristes. On la prend généralement pour un chardon, mais ce n’en est pas un : la cardère appartient même à une famille qui lui est très éloignée, celle des chèvrefeuilles! Quoi qu’il en soit, les chardonnerets en raffolent: ils débarquent au jardin en petites troupes masquées et dépouillent minutieusement les cardères de leurs graines, en oscillant sur les capitules. La plante a aussi la particularité de recueillir l’eau de pluie à l’aisselle de ses feuilles, ce qui lui vaut le nom populaire de « cabaret des oiseaux ». Mais je conseille franchement aux passereaux de passer leur chemin car, comme des débris végétaux et des insectes y pourrissent, l’odeur qui s’en dégage est rarement rafraîchissante.
A ce stade de mon exposé, j’entends la question qui vous taraude : « Est-ce que chardons et cardères ne risquent pas d’envahir tout le jardin ? » Et bien aucun souci à avoir ! Primo, ces trois espèces sont pionnières. Autrement dit, elles germent plus facilement dans des terres nues ou clairsemées que dans un jardin déjà bien achalandé. Deuzio, elles produisent des graines assez lourdes qui ne tombent jamais très loin du pied mère. Et tercio, contrairement aux chardons des champs, ce sont des espèces bisannuelles : elles forment la première année une large rosette de feuilles avant de prendre l’ascenseur, fleurir puis mourir la seconde année. Cela laisse donc largement le temps d’arracher celles qui d’aventure se seraient installées à un endroit incongru. Les déplacer serait peine perdue car leur racine en pivot supporte extrêmement mal les déménagements….
Et pour conclure, voici une petite récompense pour ceux qui ont lu jusqu’au bout ce billet un peu plus long que d’habitude…
Chardons: demandez de la graine!
Envie d’accueillir le chardon des ânes et /ou le chardon-marie dans votre jardin ? Envoyez moi une enveloppe timbrée avec votre adresse, et en échange, je vous ferai parvenir quelques graines du millésime 2023.
Adresse d’envoi: Aino Adriaens, Le Jardin sauvage, Route des Vergers 8, 1355 L’Abergement
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Merci Aïno de mettre de la poésie là où ça pique :-))
Merci pour cet ode aux chardons! Que de bonheur: de quoi rêver encore à tant de beauté!
Voilà un bienfait pour la biodiversité!
Merci de nous emmener hors des sentiers battus, même si parfois ça pique un peu.