Chaque fois que je descends au jardin, j’espère entendre leur appel flûté dans le verger. J’entends des pinsons, des mésanges et des moineaux qui piaillent autour du poulailler, mais toujours pas de bouvreuils. Pourtant, toutes les conditions sont requises: un froid vif, une belle couverture de neige et dans nos haies, des viornes aubier (Viburnum opulus)  truffées de fruits vermillons dont ces oiseaux forestiers raffolent. Il y a quelques années, un forestier neuchâtelois m’avait dit que c’était le seul arbuste des lisières dont les fruits toxiques n’intéressaient pas la petite faune locale. Je l’ai cru jusqu’au jour où nos haies plantées d’arbustes indigènes ont grandi au point d’attirer une foule d’oiseaux en hiver.

Car un beau jour, les bouvreuils sont arrivés. Et principalement dans les viornes obier. Plusieurs couples à chaque fois: les mâles superbes dans leur costume écarlate, et leurs compagnes plus sobrement encagoulées. Ils passaient des heures à boulotter les baies, en prenant bien soin d’ôter d’abord la pulpe translucide, puis de décortiquer la graine pour en extraire l’amande, sans doute une exquise friandise dans le bec d’un bouvreuil. Parfois, ils se délectaient aussi au sol des graines de plantes vivaces qui dépassaient de la neige. Posté dans son affût à quelques mètres de là, notre fils Antoine restait quant à lui des heures dans le froid pour les photographier. Le spectacle a eu lieu plusieurs hivers de suite. Mais ses dernières images datent de 2015. Depuis, les incursions des bouvreuils se font de plus en plus rares. Seraient-ils , à l’instar d’autres passereaux familiers, en train de disparaître à petit feu?

Ornithologue de renom, ami et voisin du Pied du Jura, Pierre-Alain Ravussin le confirme: «Les effectifs du bouvreuil pivoine se sont réduits d’un tiers depuis les années 90. La chute se manifeste surtout au Nord des Alpes. Il n’y a quasi plus de nidification en plaine, les populations se concentrent aujourd’hui en moyenne montagne.» Les raisons de ce déclin?  On ne les connaît pas avec certitude, mais Pierre-Alain évoque  la raréfaction en plaine des sapins -l’habitat de prédilection du bouvreuil-, liée notamment au changement des pratiques forestières et au réchauffement du climat. «La disparition des haies, des bocages et des vieux vergers ne doit pas lui faire du bien non plus. Le bouvreuil consomme une grande variété de baies sauvages, de bourgeons et de graines en tous genres qu’il peine à trouver dans nos campagnes aseptisées et nos jardins propre-en-ordre» rajoute l’ornithologue.

Côté « chenit », mon jardin est plutôt déjà bien achalandé. D’ailleurs, les chardonnerets, les verdiers et les gros-becs ne s’y font pas prier. Mais comme il reste de la place, pour les bouvreuils et leur chant flûté, je vais encore en rajouter.