Après avoir dévoré son livre « Un jardin fruitier pour demain », coécrit avec Perrine Dupont et paru en 2022, je rêvais de rencontrer Robert Kran et de découvrir son verger d’exception. Les vacances d’automne m’en ont donné l’occasion: cap sur la Corse et le jardin botanique fruitier d’Avapessa, en Balagne… C’est là qu’en 1996, à l’approche de la retraite, Robert Kran a choisi de créer le verger de ses rêves: un éden aux saveurs de l’enfance, où les arbres croulent sous les fruits et où la nature peut s’exprimer librement. Le suivre aujourd’hui dans ces 2,5 hectares de jardin tient de l’exploration gourmande d’une palette botanique incroyable, issue de tous les continents. C’est aussi une promenade apaisante tant le vieil homme, 82 printemps, dégage simplicité et joie de vivre.

« A l’origine, le terrain était un pâturage très caillouteux, épuisé par des années d’exploitation. Pour redonner vie au sol, je l’ai enrichi plusieurs années avec l’herbe coupée sur place, du fumier de moutons et du compost. Puis j’ai commencé à planter des figuiers et une jolie collection d’agrumes » raconte-t-il en préambule. Pommiers, poiriers, plaqueminiers, pêchers et autres variétés classiques des régions méridionales suivront dans la foulée. Curieux et gourmand, Robert Kran s’intéresse alors à d’autres arbres et arbustes à fruits comestibles ou médicinaux nettement plus originaux, exotiques voire même tropicaux. Il ramène des graines de ses voyages ou de ses échanges avec d’autres passionnés, puis les sème et tente d’acclimater les plus frileuses au climat de la Corse : « Les jeunes pousses passent leurs trois premières années de vie en serre ombragée l’été, en serre froide l’hiver, puis je les plante à l’extérieur au printemps. Elles souffrent souvent du premier gel mais la plupart refont des rejets depuis leur souche et leurs racines. Au bout de 3 années dehors, les jeunes arbres acquièrent une résistance au froid, poussent et commencent à fructifier ».

Dès le début de la visite commence le jeu des devinettes. Tous mes sens sont en alerte pour reconnaître les arbres et les arbustes que je n’ai jamais vus qu’en photo, mais dont l’aspect, l’odeur des feuilles ou le goût des fruits m’évoquent souvent quelque chose. J’hésite devant l’arbre à thé ou tea tree (Melaleuca alternifolia, Australie) et les baies de poivre rose (Shinus molle), je cale face au papayer des montagnes (Vasconcellea quercifolia) et je me régale en savourant pour la première fois une goyave du Brésil, fruit du feijoa (Acca sellowiana), un arbuste que j’ai planté au jardin mais qui n’a encore jamais fleuri. Plus facile : les plaqueminiers (Dyospyros sp). Robert en possède au moins 40 variétés et comme la saison des kakis bat son plein, nous nous en mettons plein la panse et la bouche au passage. Les fruits tombés au sol régaleront les poules, une tribu de coureurs indiens et deux cochonnes vietnamiennes ventripotentes, reines du verger. « En observant les forêts de chênes et de châtaigniers aux alentours, qui résistent bien aux sécheresses et aux maladies sans qu’on intervienne, j’ai décidé de ne jamais tailler ni traiter mes arbres. Je ne les arrose qu’au début de la plantation par un système de goutte à goutte, après ils se débrouillent. Je compte surtout sur les oiseaux pour limiter les ravageurs, j’ai d’ailleurs planté à leur intention des dizaines d’arbustes indigènes à baies. Vivre et laisser vivre, telle est ma devise ! » insiste le jardinier.

Le voyage se poursuit avec les agrumes, les pistachiers (Pistacia sp), les goyaves-fraises (Psidium cattleianum), les myrthes d’Australie (Syzygium paniculatum), les raisiniers de Chine (Hovenia dulcis), les sapotiers blancs -délicieux!- (Casimiroa edulis, subtropical) et le palmier abricot (Butia capitata, Am. du Sud) dont Renée, l’épouse de Robert fera avec les fruits une excellente confiture. Sa dernière fierté ? L’acclimatation réussie d’un cannelier ou arbre à cannelle (Cinnamomum verum), une espèce originaire du Sri Lanka réservée en principe aux serres chauffées de nos jardins botaniques.

Après trois heures de promenade, d’échanges et de pauses gourmandes, j’ai quitté Avapessa pleine de nouveaux noms et d’idées dans la tête. Gonflée d’une confiance nouvelle aussi envers les fruitiers sensibles au froid que j’ai déjà osé planter au Jardin sauvage. Face au dérèglement climatique, aimer les arbres et croire en eux a plus de sens que jamais, je m’en souviendrai. Merci Robert pour votre énergie positive et votre enthousiasme communicatif. Merci pour votre générosité et votre regard pétillant. Et à bientôt.

Un livre et un jardin à explorer

Depuis 2014, Robert et Renée Kran ont ouvert leur jardin au public. Ils proposent toute l’année des visites à heure fixe ou sur rendez-vous.  Plus d’infos sur le site du jardin fruitier d’Avapessa.

D’ici là , vous pouvez aussi vous plonger dans ce livre très inspirant, fruit des trente ans d’expérimentation de Robert Kran dans son jardin corse. Robert y partage ses connaissances encyclopédiques avec la complicité de Perrine Dupont, journaliste, jardinière et ancienne responsable du courrier des lecteurs du magazine des 4 Saisons. On y découvre dans le détail 37 espèces d’arbres et arbustes fruitiers venus de contrées lointaines, à tester chez vous -ou non- selon leur degré de rusticité. On y rencontre aussi un jardinier philosophe, amoureux de la nature et de la vie sous toutes ses formes.

Un jardin fruitier pour demainRobert Kran & Perrine Dupont- 26 € –  191 pages- A commander directement chez Terre vivante ou dans une bonne librairie suisse!