Y’a un problème. La plupart des légumes de mon potager affichent un retard phénoménal. Les choux sont rachitiques, les courgettes n’en finissent pas de démarrer, les tomates sont à la peine et ne parlons pas des épinards rouges ni de la coriandre qui devraient depuis longtemps égayer nos salades. Et dans la serre, ce n’est guère mieux. Les tomates y sont encore moins vigoureuses et mes jolis plantons de melons ont dépéri lamentablement. Bref, c’est pas la joie, même si l’ail et les oignons sont magnifiques et les panais plus beaux que jamais. Bien sûr, il est très tentant d’imputer la faute aux coups de bise, à la pluie et à la grisaille, aux hordes de limaces ou -si on remonte plus loin encore-  à la sécheresse du mois d’avril. Ça n’a sans doute pas aidé, mais ces excuses ne suffisent pas à expliquer le nanisme des choux qui, plantés fin mars, auraient dû exploser suite aux alternances de pluie et de soleil. Il s’est encore passé autre chose et j’en suis entièrement responsable…

En fait, je crois que pour la première fois et de façon spectaculaire, je suis confrontée à cette fameuse faim d’azote contre laquelle les bouquins de permaculture nous mettent régulièrement en garde.  En théorie, le principe paraît simple: s’il y a trop d’éléments carbonés incorporés en profondeur du sol ou à sa surface  (paille, copeaux, fibres diverses,…) au moment de la croissance des légumes,  l’azote présent est consommé par les micro-organismes qui se chargent de leur décomposition, et par conséquent, n’est momentanément pas disponible pour les plantons en pleine croissance, qui le font savoir en végétant et/ou en jaunissant. Cet état dépressif cesse au bout de quelques mois, quand toutes les matières organiques sont bien décomposées, que les micro-organismes meurent et libèrent l’azote qu’ils ont utilisé. En pratique, l’affaire est plus complexe car ça va dépendre aussi du type de sol et de légumes (les légumes-racines en souffrent moins), du paillage mis en place, de la météo, de l’exposition et de l’âge du capitaine.

En l’occurrence, la capitaine a cru bien faire en déversant de décembre à mars au verger et dans les potagers de grandes quantités de fumier de cheval, récupérées quotidiennement avec une brouette auprès d’amis et voisins bien achalandés. J’ai étalé sans compter (mais sans l’incorporer) le mélange de copeaux, crottins, foin et paillettes de lin en une couche généreuse sur les planches surélevées, au pied des petits fruits, rhubarbes et arbres fruitiers, histoire d’apporter en même temps couvre-sol et engrais au sol qui me semblait en manquer. Seulement voilà: réputé pour chauffer très fort quand il est en gros tas, le fumier de cheval, très fibreux, se dégrade plutôt lentement lorsqu’il est épandu en surface car, contrairement aux ruminants, l’équidé ne peut compter que sur un seul estomac pour digérer ses repas. Bref, à la mi juin, des boulettes de crottin intactes – mais inodores- parsèment toujours mes cultures d’annuelles. Je les ai écartées ce printemps pour permettre au sol de se réchauffer et débuter mes plantations, mais ces petits tas ont sans doute encore renforcé localement l’isolation du sol et les carences en azote. Quand j’ai réalisé ma bêtise, j’ ai ôté une grande part du fumier encore en place et l’ai remplacé par des orties et des consoudes fraîchement hachées, riches en éléments minéraux.  Je brasse des purins de plantes à tour de bras et toute la famille fait désormais pipi dans un seau: diluée entre 5 et 10%, son apport d’azote est bénéfique aux légumes qui en sont gourmands. Résultat: les tomates, les maïs, les laitues et deux plans de courgettes commencent à reprendre du poil de la bête, tandis que les épinards rouges prennent enfin l’ascenseur. Et je reporte mes espoirs sur les légumes d’automne qui devraient peut-être profiter d’un sol bonifié.

Une chose est certaine: en jardinage comme ailleurs, on apprend mieux de ses erreurs. A l’avenir, j’aurai la brouette moins généreuse et, à moins de l’utiliser en couche chaude dans la serre, je composterai le fumier  de cheval pendant au moins six mois avant d’en faire usage…