Je viens de rentrer d’Angleterre. Et mon jardin me semble tout à coup bien fade, comparé à ce que j’ai vu là-bas! Pendant deux jours, j’ai arpenté en tous sens les jardins de Great Dixter, des jardins d’une  exubérance folle, où la biodiversité est stupéfiante. Dans une joyeuse mosaïque discrètement orchestrée par des jardiniers hors-normes, des plantes venues des quatre coins de la planète se mêlent aux sauvageonnes pleines de grâce et de ressources. Et mettent en valeur des bâtiments séculaires qui à eux seuls ont déjà toute une histoire.

C’est ici que durant plus de 50 ans le jardinier et écrivain Christopher Lloyda expérimenté et popularisé les fameuses « mixed borders », qui font la renommée des jardins de cottages à l’anglaise. Ici le vide n’existe pas. Comme dans la nature, qu’ils soient à l’ombre ou au soleil, les végétaux se succèdent au fil des mois sans discontinuer, comme dans une danse synchronisée.  On y voit la végétation pousser à vue d’oeil, dopée par la pluie et le soleil qui se battent éternellement en duel dans le ciel britannique.  Lorsqu’une plante est en fin de floraison, sa voisine a déjà pris l’ascenseur sans forcément lui porter ombrage. Et partout des annuelles qui comblent les interstices de leurs semis spontanés. Et partout des bisannuelles qui créent la surprise d’année en année. Le feuillage des unes met en valeur les inflorescences des autres. Les géantes donnent du corps aux plates-bandes qui ne le sont jamais. Les couvre-sols se fraient un chemin dans ce dédale jusqu’au bord des chemins.  Même les prairies extensives qui entourent la maison changent de parure au fil du temps: crocus, jonquilles et fritillairesdu printemps ont cédé la place aux camassias, aux orchidéeset aux marguerites.

Suite au décès de Christopher Lloyd en 2006, c’est son élève et complice Fergus Garrett qui a repris les rennes de Great Dixter. Dans un même esprit de curiosité, de partage et d’expérimentation. Les traitements de synthèse ont été bannis définitivement, la nature est plus que jamais la bienvenue.  Les insectes sont légions, la tolérance est de mise. Ici tout se recycle. Le terreau est fait maison, les clôtures proviennent des forêts du domaine, les végétaux produisent des liens et des supports, les plants sont produits dans la pépinière. Est-ce de la permaculture? Oui car tout est fait dans le respect du sol, de la biodiversité, des cycles de la nature. Et de l’être humain aussi, puisqu’on y cultive aussi le sourire et le goût de la transmission. Oui car tout ou presque est fait local et « low tech », sans machines et à la main. Non car il n’y a pas de réelle volonté de produire des végétaux comestibles, même si une kyrielle de plantes se mangent et sont mangées. Non car Fergus Garrett n’aime pas les étiquettes: « Je ne veux aucune certification, même pas bio, car on ne fait pas les choses pour le show, mais seulement pour les résultats que l’on veut obtenir ».

Du jardin de Great Dixter, j’ai ramené un peu de sagesse, plein d’idées et quelques jolies plantes. Mais j’ai surtout ramené mon fils, apprenti horticulteur-paysagiste à Lullier, qui y a fait un stage de plusieurs mois. C’est cool: je suis sûre qu’il m’aidera à semer quelques graines de folie au jardin.