L’automne pousse à la contemplation, mais pour ma part, j’y vois aussi une excellente saison pour remettre en question la composition des massifs de vivaces: les plantes ont atteint leur plein développement, les couleurs sont lumineuses et les contrastes sautent aux yeux. J’ai aussi un peu plus de temps pour recoiffer les exubérantes et remettre au pas les indésirables qui ont pris leurs aises pendant qu’on s’affairait aux potagers. Pour analyser la situation, le paysagiste anglais Noël Kingsbury avait conseillé un truc infaillible lors d’une conférence que j’avais suivie en 2012: «Prenez une photo de vos massifs, puis passez-les en noir et blanc. Si ça ressemble à de la soupe, c’est qu’il y a encore du travail pour mettre en valeur les atouts de chaque espèce». A l’époque, j’avais fait le test et découvert que je pouvais m’autoproclamer «reine du potage» sans avoir besoin d’être dans la cuisine. Depuis, j’ai fait quelques progrès et m’attarde fièrement devant quelques mètres carrés de plantes d’ombre dont les couleurs, les hauteurs et les floraisons se mêlent harmonieusement au fil des saisons. Quelques mètres carrés seulement. Partout ailleurs: peut mieux faire et je m’y suis attelée ces jours-ci.

Pour réussir un beau massif, du genre mixed-border à l’anglaise (soyons ambitieux!), voici quelques règles de base:

  • Faire en sorte que ça ait l’air d’avoir poussé tout seul, naturellement.
  • Veiller aux contrastes entre les hauteurs des plantes, les couleurs, les structures et les formes du feuillage. Autrement dit: éviter de mettre côte à côte deux espèces qui se ressemblent.
  • Imaginer le volume que prendra chaque plante dans le futur et l’ombre qu’elle générera, histoire de choisir les bonnes combinaisons
  • Planter plusieurs plantes de la même espèce l’une à côté de l’autre (de préférence en nombre impair), pour qu’elles puissent se faire une place au soleil.
  • Penser à échelonner les floraisons au fil des saisons pour que le massif soit toujours attrayant. Par exemple perce-neige, puis hellébores, puis euphorbes et sauges, puis asters et graminées en structure d’automne. Et tout cela bien sûr, en respectant les exigences écologiques de chaque espèce («la bonne plante au bon endroit») et en gardant à l’esprit toutes les règles citées plus haut.
  • Se laisser surprendre par les semis spontanés d’annuelles (ex. coquelicot, myosotis) et bisannuelles (ex: cardère, bouillon blanc) qui s’immiscent entre les vivaces: elles sont efficaces pour boucher les trous et/ou donner de la structure
  • Pour le charme et la biodiversité, inclure et/ou tolérer une bonne proportion d’espèces sauvages indigènes, si appréciées par la petite faune

Vous l’aurez compris, l’exercice n’est pas facile. Qui plus est sous un climat nettement moins arrosé qu’en Grande-Bretagne. Qu’à cela ne tienne, j’ai retroussé mes manches et repris à zéro un massif dont l’entretien m’épuisait depuis toujours. Et pour cause: en guise de sol, nous avions déversé en contrebas de l’étang créé il y à 20 ans un mélange de cailloux et de gravats de tuiles et de briques issus de travaux de rénovation de la maison, puis recouvert le tout d’un peu de terre végétale, dans l’idée de privilégier une flore de friche originale. Question biodiversité, c’était une réussite, mais pour que l’ensemble reste présentable en plein centre du jardin, je ne compte pas le nombre d’heures passées à arracher les rhizomes de chiendents, orties et aegopodes qui s’étaient enfilés entre les briques! Cette année j’en ai eu marre: j’ai profité des vacances pour exhumer une bonne partie de cette caillasse et offrir un sol de qualité à de nouvelles plantations. 

Samedi dernier c’était le grand jour. Issues de boutures, de divisions de touffes, de semis, de troc entre amies ou de mes pépinières préférées (lautrejardin, le Bioley, Jaggy), les plantes étaient fin prêtes à entrer en scène. Une fois de plus, j’ai sauté la case “dessin” et les ai disposées à l’instinct, tout en profitant aussi des conseils de Gaël qui a eu la bonne idée de faire un stage dans l’incroyable jardin anglais de Great Dixter, et un autre dans celui non moins génial des Jardiniers du Possible, à Estevenens (FR). Patience. Il faudra attendre au moins 2 ans pour pouvoir juger du résultat. Aucun problème: d’ici là, je suis sûre que je ne m’ennuierais pas.