Les vareuses infatigables que je porte au jardin comme à la ville en témoignent: j’adore la Bretagne et m’y échappe régulièrement, histoire de faire le plein d’énergie, me perdre dans l’horizon infini et profiter avant l’heure suisse des jonquilles et des violettes déjà en fleurs dans les sous-bois. J’y écris ces lignes. La mer est à deux pas, les goélands criaillent, le vent tempétueux fouette la fenêtre: tout est réuni pour évoquer ces quelques plantes sauvages océaniques que j’ai ramenées dans mes bagages et tenté, avec plus ou moins de succès, d’acclimater au jardin.
La plupart ont fait le voyage sous forme de graines, précieusement glanées en bord de mer ou de sentiers. Bien sûr, j’ai aussi craqué en jardinerie pour leurs parentes horticoles et plantureuses, mais je résiste de plus en plus à cette tentation: après moultes déconvenues et argent perdu, j’ai appris que les plantes semées résistent généralement bien mieux à l’exil que les transplantées. Au delà du type de sol, le facteur limitant reste avant tout la rigueur de l’hiver: adaptées à la douceur du bord de mer, certaines plantes résistent difficilement au gel prolongé.
Voici en histoire et en images, le portrait de quatre de mes bretonnes favorites…

L’iris fétide (Iris foetidissima)
Ses fleurs d’un bleu livide ne paient pas de mine , mais ses fruits sont spectaculaires: en hiver, chaque capsule s’ouvre en étoile sur des petits pois oranges (toxiques) qui restent longtemps accrochés au bout des hampes florales. Ce n’est pas là le seul atout de l’iris fétide. J’aime ses épais bouquets de feuilles vertes, qui gardent cette couleur tout au long de l’année: de quoi mettre un peu de gaieté dans la grisaille de l’hiver et éclairer des coins sombres en été. En Bretagne, on la rencontre souvent dans les sous-bois fertiles, et le long des ruisseaux en compagnie des fougères, mais elle pousse aussi en plein soleil ou à l’ombre des pins dans l’arrière dune. Bref, elle n’est pas exigeante pour un sou et prospère merveilleusement bien dans notre sol bien drainé. Et pour ne rien gâcher, elle supporte le gel sans broncher! Mais au fait, pourquoi cet iris est-il qualifié de fétide? Parce que ses feuilles sentent mauvais quand on les froisse. On l’appelle aussi iris gigot, car son odeur évoquerait aussi la viande rôtie…

Le chou marin (Crambe maritima)
Ce superbe chou n’est pas du genre « Brassica » . Autrement dit, ce n’est pas l’un des ancêtres de nos lignées potagères. Ce privilège revient notamment à une autre espèce sauvage du bord de mer, Brassica oleracea, peu fréquente en Armorique. Le chou marin est pourtant un des chouchous des permaculteurs: il figure dans tous les bouquins consacrés aux légumes vivaces et aux jardins-forêts.
Dans la nature, il pousse toujours face à la mer, dans les cordons de galet qui ceinturent le haut des plages, où il forme des massifs bleutés, aux feuilles épaisses et délavées. J’en ai ramené quelques fruits: des petites boules coriaces, adaptés à la flottaison, qui recèlent une seule et unique graine. Et miracle, quelques graines ont germé en godets, à l’abri de la serre. Quand mes petits choux ont atteint une vigueur respectable, je les ai installés dans un coin chaud et lumineux. Depuis 3 ans, ils y poussent lentement mais sûrement, disparaissant l’hiver pour mieux renaître au printemps. Leur goût? Je n’en sais rien, je n’y touche pas, trop heureuse de les voir embellir le jardin.

La mertensie maritime, alias «plante-huître » (Mertensia maritima)
C’est une des vedettes du jardin. Elle trône en contrebas de la terrasse, dans un grand pot en grès qui la soustrait à l’appétit des limaces. A la belle saison, nos visiteurs n’échappent pas à la devinette gustative, car ce n’est pas une blague: ses feuilles ont bel et bien un goût d’huître! Après quelques déboires (lire Un fabuleux goût d’huître au jardin), je suis parvenue à garder mes plantes d’une année à l’autre, sans avoir à les rentrer en hiver. Cousine de la consoude, la mertensie fleurit en clochettes bleues et produit d’assez grosses graines membraneuses qui germent facilement. Offrez-lui une terre sableuse, bien drainée, en souvenir de ses origines dunaires, et un pot assez haut pour ses racines profondes. En été, elle est parfaite en salade pour accompagner les poissons ou en beurre d’huître sur pain grillé, même si honnêtement, et au risque de choquer bien du monde, je préfère largement leur équivalent animal!

La mauve maritime (Malva subovata)
On aperçoit cette incroyable mauve, souvent aux jumelles, dans les endroits les plus inaccessibles: sur les corniches rocheuses où nichent les cormorans, au sommet des falaises couvertes de fientes, ou bien arrimée entre des éboulis. Moins haute et plus trapue que la rose trémière, sa cousine américaine, la mauve ou lavatère maritime se campe profondément dans le sol et dresse un véritable tronc, capable de résister aux pires tempêtes. Au jardin, elle n’a pas résisté au froid. Pourtant mes plantes étaient prometteuses. Bisannuelles, elles sont devenus énormes dès l’année du semis, mais ont gelé jusqu’à la moelle durant l’hiver. Une graine tombée au milieu de la serre s’est transformée en végétal gigantesque aux bras tentaculaires, prompt à faire de la feuille, mais peu enclin à fleurir: j’ai fini par me résoudre à le tailler, pour pouvoir circuler, puis à l’arracher, afin de donner un peu de lumière aux légumes… Mais je n’ai pas dit mon dernier mot: il me reste quelques graines…
Bien entendu, d’autres curiosités bretonnes ponctuent le jardin, comme par exemple la bette et la cinéraire maritime, pour ne citer qu’elles. Comme bon nombre de jardiniers, j’ai beaucoup de plaisir à semer les graines ramenées de voyage. Et si elles daignent germer, il est important de bien connaître les exigences et le comportement de chaque espèce avant de les installer, afin de ne pas se retrouver débordé par des végétaux un peu trop conquérants.
Pour conclure, je vous annonce d’ores et déjà des Portes ouvertes au Jardin sauvage les 21 et 22 mai prochain, dans le cadre de la Fête de la Nature. A moins d’une incursion de limaces, il y aura quelques godets de plante-huître et peut -être même du chou marin à disposition des amateurs…
Vos escapades me ravissent, nous les transmettre c’est du BONHEUR, MERCI !
Merci pour ce voyage botanique au bout des terres continentales ! Passionnant <3