La première fois que j’ai goûté une feuille de Mertensia maritima, je n’en croyais pas mes papilles. Incroyable mais vrai! Cette plante a bel et bien un goût d’huître, sans en avoir l’aspect ni la consistance qui rebutent tant de palais. Plébiscitée par les permaculteurs, au même titre que bon nombre de vivaces comestibles insolites, je l’ai découverte il y a deux ans chez des maraîchers bretons.
Pour la petite histoire, cette plante communément appelée huître végétale ou plante à goût d’huître, poussait à l’origine sur les sables et les dunes du littoral atlantique européen, jusqu’en Scandinavie et en Amérique du Nord. Dans les années 1930, sa cueillette abusive à des fins culinaires a provoqué sa disparition en maints endroits, et il semble que ce soit grâce à la curiosité d’un horticulteur normand, Hugues Le Cieux, que des pieds ont été redécouverts et qu’à partir de quelques graines, la culture de cette plante sauvage a été lancée dès 2007.
J’ai donc ramené un jeune plant de Bretagne en été 2016 et suivi scrupuleusement les conseils du pépiniériste: culture en pot, substrat très sableux, soleil et arrosage parcimonieux. Tout s’est bien passé, sauf qu’à notre retour de vacances, le pied avait pourri car sans doute trop arrosé par un ami jardinier ayant cru bien faire. Nouvelle tentative l’an dernier avec une plante rapporté de l’île de Bréhat, dans les Côtes d’Armor. Cette fois, je l’ai installée dans la serre, dans une terrine remplie d’un mélange de sable breton et de compost maison, mais une limace gastronome n’a pas tardé à la boulotter jusqu’aux pétioles. Soustraite dare dare à la voracité des gastéropodes, elle a pu se refaire une santé sur le balcon jusqu’à ce que le paon vienne lui arracher ses dernières feuilles. Elle ne s’est pas avouée vaincue, mais ses malheurs n’étaient pas finis pour autant: à la fin de l’été, quand je l’ai rentrée à la buanderie pour passer l’hiver, c’est un mulot qui l’a grignotée pour n’en laisser pas grand chose. A nouveau sauvée in extremis, elle a vaillamment refait quelques jeunes pousses et se porte maintenant comme un charme, au point que je suis même particulièrement fière de pouvoir la faire goûter aux amis dubitatifs.
Le week-end passé, un bel étalage de pots de Mertensia maritima a attiré mon attention sur la foire agricole bio de Moudon. C’était l’œuvre de Philippe Détraz , horticulteur spécialiste des plantes aromatiques, à l’enseigne du Jardin des Senteurs à Neuchâtel. « J’ai commencé à les cultiver à partir de graines il y a 3 ou 4 ans, dans un terreau à semis conventionnel, et cela marche plutôt bien, mais cela reste une culture délicate car il faut à la fois un sol très drainant et suffisamment d’humidité. Et les limaces en raffolent, tout comme elles aiment la bourrache et la consoude qui sont de la même famille botanique » m’a-t-il expliqué. A ses clients, Philippe Détraz conseille la culture en pleine terre si leur jardin se situe en dessous de 650 mètres d’altitude. Au delà, mieux vaut cultiver l’huître végétale en pot et la rentrer à l’abri du gel en hiver. Si la Mertensia rencontre un franc succès en France, notamment auprès des gourmets et restaurateurs qui l’apprêtent volontiers en beurre ou en salade, l’horticulteur neuchâtelois n’imagine pas faire fortune avec sa nouvelle protégée, car les Suisses ne sont pas vraiment grands amateurs de spécialités du bord de mer.
Pour ma part, j’adore ça et je me réjouis de ne plus avoir à attendre l’hiver pour me délecter des saveurs marines qui me rappellent mon enfance.