Hors contexte, ces petites truffes enrobées de vermicelles de chocolat pourraient paraître appétissantes. Dans la serre par contre, on se méfie un peu. Et on s’interroge sur le contenu de ces boulettes enfouies dans un matelas de petites crottes. Et bien, surpriiiiiise! Si on en décapsule une délicatement, on y découvre un petit insecte d’un noir brillant et à poils dorés, plongé dans le sommeil du juste. C’est un coléoptère et plus précisément, une cétoine grise, Oxythyrea funesta, aussi appelée pour une raison obscure « drap mortuaire ».
Vous l’avez sans doute déjà rencontrée au printemps, posée sur une rose ou sur la fleur d’un pommier. Elle est rarement seule et préfère opérer en bande quand il s’agit de détrousser les étamines de leur pollen. Au point qu’il est tout à fait légitime de s’inquiéter de sa présence. L’animal serait-il nuisible? Si vous faites une recherche sur le net, vos soupçons pourraient se confirmer: on l’accuse de manger les racines des plantes quand elle est au stade larvaire. Et une fois adulte, elle compromettrait nos récoltes de fruits, en entravant la pollinisation ou en abimant les ovaires. Et bien méfiance! En matière d’insectes comme dans tous les autres domaines, les informations qui circulent sur la toile sont à prendre avec des pincettes! Croyez moi, rien ne vaut l’observation directe… En voici la preuve.
Depuis deux ans en effet, notre serre est le repaire d’une escadrille de cétoines grises. Elles éclosent par centaines au printemps et les crottes que produisent leurs larves doivent se peser en kilos. En été, lorsqu’on creuse un peu entre les légumes, on tombe illico sur des dizaines de virgules blanches bien dodues. Bien sûr, au début, je me suis inquiétée pour nos poivrons, tomates et salades. Mais j’ai vite compris. En fait, les larves de cétoine sont arrivées avec le bois mort dont j’ai tapissé le fond de la serre. Depuis, elles le boulottent inlassablement et le transforment petit à petit en fertilisant utilisables par les plantes. Aucun souci donc pour nos légumes: contrairement aux larves de hanneton (les fameux « vers blancs »), les larves de cétoine grise -mais aussi celles de la cétoine dorée – préfèrent la matière morte aux racines juteuses. En fin d’été, elles se construisent une petite capsule de terre, se nymphosent puis deviennent comme par magie des coléoptères prêts à l’envol.
Autant dire qu’à l’éclosion, ça vole et ça bourdonne dans tous les sens. Et pendant quelques jours, on doit aider les cétoines à trouver la sortie pour qu’elles aillent se poser ailleurs que sur les vitres ou nos cheveux. Seront-elles nuisibles ou utiles au verger? Ni l’un ni l’autre. De tels jugements de valeur n’ont aucun sens si on considère le jardin comme un écosystème. Disons qu’elles y ont tout à fait leur place et que je n’ai rien à leur reprocher personnellement. Si ce n’est de me donner à l’instant une envie de truffes au chocolat.