Je me suis figée quand je l’ai aperçue. Elle se faufilait en douce entre les petites feuilles rondes de la morène des grenouilles, disparaissait derrière un caillou de la berge, pour se glisser un peu plus loin, en bousculant à peine la surface de l’eau. C’était une jeune couleuvre. A peine plus épaisse que mon petit doigt, longue d’à peu près 30-40 cm, avec déjà un joli collier jaune autour du cou. Au bout de quelques minutes, je l’ai vue capturer un des nombreux têtards qui s’égayaient autour d’elle. Pas bien malin ces têtards, des proies faciles en eau peu profonde, agglutinés et frétillants le long des tiges et autour des pierres. La scène s’est passée dimanche dernier, dans une petite mare creusée dans le potager: un trou d’eau d’à peine plus de 2 mètres carré et 30 cm de profondeur, mais suffisant pour attirer une kyrielle de petites bêtes bien sympathiques: grenouilles, crapauds accoucheurs, libellules, notonectes et maintenant couleuvres.
L’an dernier, la mare avait déjà attiré deux petits serpents, ce qui nous avait remplis de bonheur car, pour des naturalistes, une telle observation est une sacrée récompense après des années d’efforts pour favoriser la biodiversité au jardin. S’il y a de jeunes couleuvres, c’est qu’il y a des adultes dans les parages (nous en avions vu dans notre grand étang il y a quelques années) et qu’il n’est pas impossible qu’elles se soient reproduites chez nous. Une hypothèse que Sylvain Ursenbacher, spécialiste au KARCH, n’exclut pas: «Les couleuvres font leur nid dans des endroits chauds et humides. Elles apprécient un tas de compost ou une pile de branches laissées en bordure d’une haie, et qui chauffent un peu en se décomposant. Après leur naissance fin août, les jeunes couleuvres peuvent parcourir d’assez grandes distances, en quête d’un point d’eau peu profond riche en petites proies». Chez nous, le compost n’est pas très accueillant car on le retourne régulièrement à grands coups de fourche. Par contre, il y a un bon potentiel de couveuses à serpents dans nos haies.
Quoi qu’il en soit, on ne s’attendait quand même pas à trouver des couleuvres au potager! A l’origine, c’est la visite de la ferme permacole du Bec Hellouin en Normandie, qui nous a donné envie de rajouter des points d’eau entre les légumes. Outre la biodiversité, l’idée était surtout de créer des petits microclimats favorables aux plantations et rafraîchissants en période de canicule. Mais très vite, ces mares sont devenues un point de ralliement pour la petite faune du jardin. Désormais, les libellules se postent sur les haricots, les grenouilles rousses digèrent sous les côtes de bettes et les oiseaux se baignent dès que nous avons le dos tourné. Seul bémol: ces petits points d’eau ne sont pas assez profonds pour rester hors-gel tout l’hiver. Il faut donc les vider à l’automne ou empêcher les amphibiens d’y hiverner, histoire de ne pas retrouver des grenouilles gonflées à bloc au dégel…