J’aime le lierre. J’en fait l’éloge à la moindre occasion et le défend avec véhémence chaque fois qu’on l’accuse d’étrangler les arbres. Pourtant, chaque hiver, je passe des heures aguillée en haut d’une échelle pour freiner son ardeur quand il enveloppe trop amoureusement nos plus vieux arbres fruitiers. Paradoxal ? Pas du tout ! Je tiens surtout à préserver de la casse les branches de nos pommiers en fin de vie car, en s’épaississant, les manchons de lierre deviennent de plus en plus lourds et offrent une bonne prise au vent et à la neige. Autrement dit : d’accord sur les branches verticales et sur les troncs, pas d’accord sur les charpentières qui partent à l’horizontale.

En pratique, le lierre a toujours beaucoup d’avance sur moi, ce qui me donne pas mal de lianes à détordre. Heureusement, hormis la position parfois acrobatique, la tâche est facile car ses tiges cassent comme du verre quand on les plie. Je m’y suis encore attelée ces derniers jours, pressée par le printemps qui pointe : hors de question d’arracher du lierre quand les oiseaux commencent à s’y installer. Dans l’idéal, je le prélève aussi avant que ses baies soient bien mûres : comme on le transforme en paillage pour le jardin, mieux vaut ne pas en resemer tout partout…

Une fois les paquets de lierre au sol, c’est généralement Christian qui entre en scène avec le broyeur électrique. Et avec une patience que je n’ai pas, il s’évertue à réduire en petits tronçons des lianes récalcitrantes et des feuilles coriaces promptes à bourrer les rouages de sa machine. Résultat : un précieux tas de BRF de lierre (bois raméal fragmenté) utilisable en couverture de sol, au potager, au pied des arbres et entre les vivaces. On l’emploie aussi sous forme fermentée après l’avoir laissé quelques semaines dans de grands sacs en plastique : cela accélère sa décomposition, ramollit le feuillage, réduit son volume et détruit les éventuelles graines et radicelles. Bien que la plante soit réputée toxique, cette mixture de lierre peut être intégrée sans risque dans des buttes en lasagne : les plants de tomates et de pommes de terre s’y développent même avec délectation, preuve s’il en faut que les toxines sont généralement détruites par le compostage.

Source de biomasse inépuisable au jardin, gîte et restaurant pour la petite faune, agent moussant pour la lessive (lire Laver son linge avec du lierre ), plante médicinale, liane pour la vannerie … : les atouts du lierre sont innombrables. Y penser au moment de l’arracher est une façon de le respecter.