On l’attend chaque printemps avec impatience, comme la première hirondelle et la première rose. Et un beau soir de mai, sa note claire jaillit dans le jardin, s’élève sous nos fenêtres. Puis une autre et une autre encore, qui fait écho à quelques pas. Cette fois, l’été n’est pas loin. On se croirait presque dans le sud, bercé par le chant du hibou petit-duc, la chaleur et les cigales en moins. Mais notre petit joueur de flûte a quatre pattes et les yeux en amande verticale. C’est un amphibien minuscule, pas plus de 5 cm, qu’on appelle alyte, ou crapaud « accoucheur ».

Crapaud pour les pustules, accoucheur pour les œufs qu’il porte en véritable papa-poule sur ses pattes arrière. Car oui, chez cette espèce, c’est le mâle qui s’occupe de garder la ponte sitôt après l’accouplement. Il plonge ses pattes dans le chapelet gélatineux et le remonte doucement le long de ses jambes. Sitôt bien arrimés, les œufs grossissent pour atteindre 5 mm de diamètre et durcissent, ce qui assure leur protection. Pendant quelques semaines, le papa ainsi lesté vaque à ses occupations de crapaud. La journée, il se terre ou s’enterre au frais sous une pierre, une dalle ou au pied d’un vieux mur. Le soir il joue de la flûte, histoire d’attirer une ou deux autres femelles qui, toutes amourachées, lui confieront une nouvelle ponte, car c’est un costaud qui a de l’entrejambe.  Il part aussi chasser des petits insectes qui fourmillent dans le jardin, et quelques mollusques si ça lui chante. Et s’il fait très sec, il va tremper un petit coup son fardeau dans la mare, pour bien faire son boulot. Au bout de quelques semaines, quand il sent que les larves sont prêtes à éclore, il  dépose les œufs dans l’eau puis leur tourne le dos. Cela donnera bientôt de gros et vigoureux têtards qui deviendront de magnifiques petits crapauds avant ou après l’hiver, c’est selon.

D’ici là, le crapaud enchantera encore nos longues soirées d’été. Il est arrivé ici comme par miracle il y a 20 ans, tout juste après qu’on ait rempli d’eau notre premier étang. Puis lui et ses copains se sont répandus dans tout le jardin,  à la faveur des nouvelles mares et tas de cailloux qu’ils adorent autant que moi. Le concert est assuré dès la nuit tombée. Grand séducteur, le petit crapaud a même réussi à envoûter ma voisine, qui au début se plaignait de ses notes veloutées. Quand on lui a montré le musicien, elle l’a trouvé tellement mignon que depuis elle dort sur ses deux oreilles. L’histoire du crapaud qui se transforme en prince charmant n’était donc pas un mythe. Merci l’alyte.

Et juste pour le plaisir, prenez le temps d’écouter et regarder la séquence vidéo ci dessous, réalisée par Antoine au jardin.