Il était une fois le long d’une rue villageoise une fontaine coulant de source joyeuse, au babil intarissable d’aussi longtemps qu’on s’en souvienne. L’eau s’y apaise quelques instants, s’offrant aux bêtes et aux gens, puis reprend sa course par un canal souterrain, pour se jeter un kilomètre plus loin dans le ruisseau du village voisin. On vient depuis toujours y puiser l’eau pour l’apéro, discuter de la météo, se rafraîchir quand il fait chaud.

De l’autre côté de la route où s’épanche la fontaine s’étage un grand jardin sauvage: arbres fruitiers, fleurs, légumes et libellules s’y côtoient dans un joyeux méli-mélo. Quand la sécheresse perdure et la pluie vient à manquer, il arrive que les jardiniers tirent par delà l’asphalte un tuyau d’arrosage jusqu’au bassin plein d’eau, histoire de redonner vie aux petites mares par la grâce du siphon et remplir d’or bleu les réservoirs à sec. Pendant des années, tout se passe pour le mieux sans que cela ne gêne personne.

Mais un beau jour de bonnes gens passant par là aperçoivent le tuyau d’arrosage et s’offusquent d’un tel privilège. Quel scandale ! Peut-on tolérer que des riverains puissent profiter de l’eau de la fontaine quand ceux qui n’habitent pas en contrebas ne le peuvent pas ? Ni une ni deux, confortant les dires des citoyens tatillons, un article du règlement communal stipulant que « Il est interdit de détourner l’eau des fontaines… », est brandi devant les jardiniers médusés. Dorénavant, seul le prélèvement par arrosoir sera autorisé, quels que soient la taille du jardin et son dénivelé.

Pendant des mois, les jardiniers protestent, appelant au bon sens, déplorant eau et temps perdus, proposant de payer ce qui est prélevé. Rien n’y fait. Un argument massue a raison de leur résistance : «Le tuyau d’arrosage est dangereux pour la sécurité routière». Se rappelant qu’ils s’étaient battus en vain pour l’adoption du 30km/h dans la même rue, les jardiniers abdiquent, vaincus par tant d’incohérence. Dès lors ils multiplient les citernes sous les toits, déroulent de longs tuyaux, s’équipent d’oyas, d’asperseurs, de micro-gouttes et paillent à tour de bras. Mais quand la canicule s’installe, cela ne suffit pas. Alors les jardiniers arrosent à gros débit, avec de l’eau potable et tant pis pour le prix. La seule chose qui compte, c’est que les arbres restent en vie.

Morale de l’histoire : En permaculture, le problème est la solution et les interdits débrident l’imagination. N’empêche. Le cœur des jardiniers se serre lorsque toute l’eau de la fontaine régulièrement bouchée, s’écoule des jours durant le long de leur porte et du jardin assoiffé.