L’atmosphère est une étuve, le jardin est en mode survie. Entre deux verres d’eau, j’oscille entre (1) tristesse et (2) réjouissance, à la vue (1) des pommiers qui lâchent leurs fruits et (2) des vignes lourdes de raisins. Comme se lamenter ne sert à rien, la deuxième option prend généralement le dessus : je profite donc de la chaleur accablante pour faire sécher les baies gonflées à bloc dans le séchoir solaire, tandis que Christian s’emploie à en extraire le jus dans la cuisine.

Pas de doute : la vigne est une valeur sûre à accueillir au jardin. Pour ses fruits savoureux bien sûr, mais aussi pour ses jeunes feuilles qui au printemps peuvent s’accommoder de multiples façons. Mais si pour vous la vigne ressemble forcément à ce bonsaï tortueux et torturé qui pousse sur les coteaux ensoleillés, détrompez-vous ! A l’origine, son ancêtre sauvage Vitis vinifera ssp sylvestris était une liane des forêts alluviales capable de grimper à plusieurs dizaines de mètres de hauteur pour aller fructifier dans la canopée. Disparue puis réapparue en Europe au fil des glaciations, elle a nourri les derniers chasseurs cueilleurs avant d’être domestiquée dans le Caucase et au Proche-Orient, ce qui a donné naissance à d’innombrables variétés de Vitis vinifera ssp vinifera. A l’époque greco-romaine,  la vigne était généralement conduite en hutin (ou hautain en France), càd qu’elle était associée à un arbre qui lui servait de support. Le raisin mûrissait en hauteur tandis que l’arbre était taillé pour permettre la culture d’autres plantes nourricières à son pied (céréales, légumineuses, …). Le système de la  joualle longtemps appliquée dans le sud-ouest de l’Europe partait du même principe. Ces techniques agroforestières éprouvées ont peu à peu disparu au profit de nos monocultures basses et intensives de plein cagnard.

Au Jardin Sauvage, je préfère bien sûr le port sauvage de la vigne et l’encourage à grimper à l’aide des ses vrilles sur tous les supports disponibles : pergola, cabanon, murs, poulailler, volière, serres et bien sûr arbres morts et vivants. Puissante et audacieuse, cette liane est idéale pour habiller les troncs et les branches dégarnies et conférer au jardin-forêt une allure de jungle tropicale.

Sur la pergola et la toiture végétalisée

Très vigoureuse, une vigne Buffalo habille notre pergola et fournit depuis 25 ans des dizaines de kilos de raisins chaque fin d’été. Leur peau est un peu épaisse mais leur goût excellent. Nous en extrayons un jus qui remporte tous les suffrages. Depuis deux ans malheureusement, les grappes se poudrent d’oïdium prématurément, mais elles restent tout à fait consommables. Plantée non loin au pied d’un couvert de jardin au toit végétalisé, la variété Himrod n’a pas tardé à grimper sur le toit et à s’installer sur des ceps de vigne morts que nous avons disposés comme balustrade décorative. Cette variété de raisin blanc sans pépins très précoce est idéale pour le séchage. 

Dans les arbres

Ces dernières années, nous avons planté des vignes un peu partout dans le jardin-forêt, mais plus particulièrement au pied d’arbres aux branches dégarnies à la base (comme les pêchers de vigne!), sénescents ou morts,  en mélange avec des rosiers grimpants et des volubilis. C’est une belle façon de leur donner une seconde vie, mais il faut compter au moins 3 ans avant que la vigne ne s’installe confortablement. Et peu importe si des grappes mûrissent à des hauteurs inaccessibles : les oiseaux et les insectes sauront en profiter!

Dans les serres

Planter de la vigne dans une serre, et la diriger au plafond, est un bon moyen d’y réduire la chaleur estivale et d’ombrager les plantons, sans pour autant compromettre le mûrissement des tomates. Nous y avons notamment le muscat blanc Birstaler et le raisin noir Sweety. Pour décaler le mûrissement des grappes sur un même pied, il suffit de créer une ouverture dans la serre (au coin d’une vitre par exemple) et diriger un sarment vers l’extérieur. Dehors comme dedans, cela vaut souvent la peine de soustraire les plus belles grappes à l’appétit de oiseaux et des insectes à l’aide de filets de protection. 

Un emballage sur mesure- A maturité et même parfois avant, les raisins sucrés attirent une foule de petites bêtes gourmandes, de type moineaux, étourneaux, merles, guêpes ou encore mouches. Parmi ces dernières, la drosophile Susuki, originaire du japon, peut rendre les baies inconsommables en pondant ses oeufs dans les fruits rouges. Un bon moyen de s’en prémunir, tout en décourageant les autres visiteurs, consiste à emballer une partie des grappes avant maturité.  A moins de les faire soi-même, ces housses de protection réutilisables peuvent être commandées chez Biogarten.ch au prix Fr 1.-/pièce.

Himrod, Buffalo, Sweety, muscat,…  cinq variétés déjà bien productives occupent les meilleures supports, et d’autres sont en cours d’installation. Aucune ne nécessite de traitement : ce sont des variétés robustes issues de croisements avec des vignes américaines et greffées sur des porte-greffes résistants. Elles ont été choisies sur catalogue (par ex. haeberli-beeren.ch) ou sont issues de boutures prélevées chez des amis jardiniers. Car oui, la vigne se multiplie très facilement, mais de préférence au printemps au moment de la taille.

Après une saison en pépinière, on peut déjà installer le jeune plant à sa place définitive. Un arrosage est conseillé la première année, mais par la suite, la vigne est capable d’aller chercher de l’eau toute seule en profondeur et on peut l’oublier…. Un atout qu’elle partage avec le figuier, le pêcher, le cormier ou encore le le plaqueminier (kaki), autant de fruitiers adaptés à la sécheresse qui remplaceront peut-être bientôt pommiers et poiriers dans les vergers du pied du Jura. Voila encore une bonne raison pour prendre de l’avance et se réjouir des plantations de l’automne!