L’hiver a toutes les combines pour mettre au pas la jardinière trop pressée. Il envoie le gel, la bise et la pluie en alternance, fige l’eau dans les arrosoirs et les orteils au fond des bottes, retient les vivaces dans leur pot, et pour couronner le tout, profite de mon sommeil pour étendre une épaisse couverture blanche sur les travaux en cours et les tunnels du potager. C’est bon, j’ai compris. Je rentre en léthargie. L’heure est à la contemplation, à la méditation et aux bonnes résolutions. 

J’ose à peine m’aventurer sur la neige. Je suis trop lourde et elle est si légère. Mon pas est celui d’un éléphant sur une mer de sucre glace. Les buttes dessinent des vagues dont les choux-plumes ont piégé l’écume. Le jardin est tout en rondeur, douceur et volupté. Sous ses coussins, je devine des taupinières. Sous ses mamelons de gros cailloux. Le temps semble s’être arrêté mais la vie pourtant suit son cours. Le renard est passé avant moi rendre visite aux poules, sa piste s’arrête devant la porte close puis croise dans les allées du potager celles d’un chevreuil en quête de verdure. Des traces lilliputiennes convergent vers le tas de bois appuyé contre la haie: mulots peut-être, troglodyte sans doute. Aux étages supérieurs, les verdiers, les grives litornes et les tarins débarquent en petites troupes affamées, gobent ou déchiquètent tout ce qu’il reste de cynorhodons vermeils, de prunelles et de cenelles ratatinées. Dans les massifs et près de l’étang, il y a aussi du beau monde qui défile dans les ombelles cristallines, les chardons penchés et les orties déchues: chardonnerets et bouvreuils y puisent de la graine et des insectes engourdis. Aux yeux de la petite faune sauvage, le désordre du jardin est un gage de survie. Pour nous, il est source d’une biodiversité incroyable et le décor d’un spectacle infini (lire aussi  Les cadeaux du jardin et Laissons du chenit pour les oiseaux )

Quand le soleil pointe ses rayons, les volumes sont amplifiés par les jeux d’ombre et de lumière. L’ambiance devient joyeuse: les oiseaux sont à la fête. C’est le moment que je préfère pour aller dans la serre: la douce chaleur, les dizaines de plantes alignées dans leur pot, les salades et les semis de l’automne m’insufflent leur énergie positive. Je viens de trouver ma commande de graines bio dans la boite aux lettres. La neige peut bien retomber, le printemps se fait déjà sentir. Et je l’attends de pied ferme.