«Voilà, c’est parti pour au moins 200 ans!» C’est avec ces mots que Gaël a couronné la plantation d’un châtaignier dans notre jardin. Le moment a été solennel. Il aurait presque mérité une minute de silence si le coq et une horde d’étourneaux dans les prunelliers n’en avaient pas décidé autrement. Les échanges intergénérationnels sont allés bon train pour savoir où nous allions installer ce petit arbre en devenir, 60 cm au bourgeon, mais susceptible de dépasser tous ses voisins par sa stature et sa ramure. Pas facile de lui trouver une place dans un verger déjà bien achalandé, entre la pomme et la poire, la prune et la cerise. Il faut imaginer sa majesté, prévoir l’ombre portée, prédire la durée de vie de ses voisins, pressentir les bogues épineuses sur les chemins et sous les pieds nus. Mais surtout: il faut l’installer au meilleur endroit pour qu’il pousse bien et sans assistance…

Au pied du Jura vaudois, ce n’est pas gagné d’avance. Le châtaigner aime la chaleur et déteste le calcaire actif. Raison pour laquelle les brisolées sont affaire de valaisans, pas de jurassiens. Pourtant, il y a bien quelques châtaigniers qui poussent sur notre commune, à la faveur du sous-sol morainique charrié il y a plus de 10 000 ans par les glaciers alpins. Leurs racines ont dû trouver dans ce melting-pot de sable, de gravier et de blocs granitiques l’acidité et le drainage qui leur convient. Encouragé par leur présence, Gaël a semé en pépinière il y a 2 ans toute une ligne de châtaignes glânées en Bretagne. Les graines ont germées et l’année suivante, il a réparti les jeunes plants en lisière nord du jardin. Cette année, la plupart ont  jauni et dépéri les uns après les autres, le mal du pays autant que du calcium je suppose. Sauf un, chétif mais bien vert, qui a survécu dans une pente. L’indice est bon à prendre. «C’est dans ce coin là que je veux le planter»: notre fils est catégorique et après réflexion, on n’a rien trouvé de valable à lui opposer. D’autant plus que le nouveau venu a belle allure et qu’il serait dommage de se planter. Gaël l’a ramené en train et en vélo du centre horticole de  Lullier, où l’un de ses anciens profs, un passionné, l’a greffé à partir de l’arbre “président” de la châtaigneraie d’Yvoire.

Bref, un excellent pedigree qui, s’il supporte l’accent du terroir vaudois, devrait nous gratifier de paniers de châtaignes dans 15 à 20 ans peut-être. En attendant, on fait  le plein de noix sous le bel arbre qui pousse en contrebas. Planté en 2003, cette variété Frankette nous assure une réserve de fruits secs oléagineux qui augmente un peu plus chaque année. Selon un proverbe chinois, «Le meilleur moment pour planter un arbre était il y à vingt ans. Le deuxième meilleur moment, c’est maintenant». Ça tombe bien, on en a plein la pépinière et la saison des plantations ne fait que commencer.