Quand je suis descendue au jardin, j’ai senti qu’il se passait quelque chose d’anormal. Il y avait cette sorte de silence qui au printemps, ne présage rien de bon : pas le moindre cri de mésange, aucune agitation dans les frondaisons. Le beau Georges qui d’habitude accourt quand je m’approche du poulailler s’était lui aussi volatilisé. Au milieu du verger, il n’y avait plus qu’une poule, mais en piteux état. L’autour était passé par là …

Pourquoi l’autour et pas le renard ? Parce que le forfait était signé. Ma noiraude gisait ventre en l’air sur un lit de plumes, dépouillée de ses meilleurs morceaux. Si le renard avait pris le risque de s’aventurer en plein jour dans l’enclos, il aurait à coup sûr tenté d’emporter sa victime par delà la clôture.

Quand l’attaque est aérienne, le rapace généralement incriminé par les amateurs de volaille est la buse variable. Certes, c’est l’un des rapaces les plus communs de nos campagnes, mais la buse préfère chasser tranquillement le campagnol depuis son piquet d’affût au bord d’un champ plutôt qu’une poule qui gambade près des maisons. Le spécialiste attitré de la chasse aux oiseaux est bien l’autour des palombes. Il se distingue de la buse variable par sa longue queue, son poitrail rayé et sa discrétion légendaire. Il passe en effet le plus clair de son temps en forêt où, souple et silencieux, il n’a pas son pareil pour naviguer entre les arbres et poursuivre geais, pics ou petits passereaux en esquivant les obstacles. S’il gîte non loin d’un poulailler et surtout, si ses petits sont affamés, il n’hésite pas non plus à fondre sur des proies faciles, grasses à souhait, et incapables de déguerpir à tire d’aile. Si l’attaque s’est déroulée sans encombre et que le gueuleton fût apprécié, il est possible, voire même probable, que l’autour revienne à la charge.

Chez nous, la dernière attaque d’autour remonte à quatre ans en arrière, mais alertés par les cris, nous avions pu libérer à temps et sans dommages un petite cane terrorisée. En prenant la fuite en rase-mottes , l’autour s’était même empêtré dans les mailles d’un grillage, ce qui avait permis à Christian de le sermonner avant de le relâcher (voir photo). Depuis, nous avons redoublé de vigilance et planté moult buissons où les poules peuvent s’abriter. Mais visiblement pas encore assez…

Après avoir découvert la victime, je suis allée rassurer le reste de la basse-cour. Toutes les poules, le coq, le lapin et les quatre paons (y compris Georges, sensé être le gardien du troupeau) s’étaient précipités dans la volière et confinés au coude à coude dans le même abri, oubliant leurs querelles jusqu’à ce que l’orage passe. Un grand moment de solidarité animale que j’ai interrompu d’une voix apaisante. L’une après l’autre, les poules ont risqué une patte dehors et se sont remises à picorer prudemment, en gardant un œil rivé vers le ciel. Et Georges a fièrement fermé la marche.

Pour terminer par une note nettement plus gaie, je ne résiste pas à l’envie de vous envoyer quelques images du jardin où le printemps explose de partout. Joyeuses Pâques et à tout bientôt!