Le sol est plus sec qu’un coup de trique, il n’a pas plu depuis deux semaines, mais allez savoir pourquoi, les champignons sont sortis du bois! Et pas de n’importe quel bois: des bûches de chêne disposées sous le merisier et ensemencées avec du mycélium de Shiitaké il y a plus de deux ans déjà. Honnêtement, je n’y croyais plus et j’avais presque oublié ces troncs dressés ou affalés avec le temps au milieu des pervenches. Puis ce matin ils m’ont sauté aux yeux car des oreilles leur avaient poussé: de beaux et larges Shiitaké, fermes à souhait, sans le moindre ver ni morsure de limace. Question quantité, pas de quoi pavoiser mais suffisamment quand même pour vous en parler, car l’histoire mérite d’être contée…

L’affaire a commencé au printemps 2018, lors d’un atelier de culture de champignons encadré par l’association Champibûche dans notre jardin. L’exercice consistait à inoculer des branches de hêtres et une botte de paille avec du mycélium de pleurotes. A la fin de la journée, Paco Dutoit, animateur de l’atelier,  m’offrait en sus un sac bien rempli de mycélium de shiitaké, avec comme consigne de dénicher des troncs de chênes pour lui assurer une bonne incubation. Chose fût faite rapidement avec la complicité d’un paysan-bucheron du village: je détournai de leur sort quelques troncs coupés un peu moins de deux mois plus tôt, une exigence supplémentaire. En effet, si les troncs sont trop frais, les tanins et la sève empêchent les champignons de s’installer, et s’ils sont coupés depuis trop longtemps, la place est déjà prise par d’autres champignons mangeurs de bois…

Après une inoculation similaire à celle pratiquée pour les pleurotes (lire billet du 10 mai 2018), j’ai dressé les bûches à l’ombre de la haie et du grand merisier, et suis passée à autre chose. D’après Paco, il faudrait au moins une année avant que le premier champignon apparaisse…Il m’avait aussi encouragée à taper de temps en temps sur les troncs, pour simuler un tremblement de terre. D’origine japonaise, les Shiitaké sont en effet sensibles aux secousses telluriques et s’activent volontiers à l’approche d’un événement destructeur: la nature est si bien faite qu’elle réveille les organismes décomposeurs pour qu’ils soient déjà prêts sur la ligne de front. En automne 2019, toujours rien. Suite à un stage dans la forêt-jardin de Martin Crawford, en Angleterre, j’ai appliqué ses conseils d’expert: tremper les bûches 24 h dans l’eau tous les 3 mois, puis les frapper vigoureusement après chaque bain, en les laissant tomber sur une dalle de béton par exemple. Malgré mes efforts, pas le moindre chapeau n’a pointé et j’ai laissé tombé. Jusqu’à aujourd’hui…

Car hier soir, on a savouré une belle platée de Shiitaké, qui s’avèrent délicieux, avec leur délicat goût de noisette. Du coup, j’ai jeté les bûches dans la mare pour la nuit. Et je m’en vais de ce pas leur donner quelques coups de trique. Histoire de les remercier et les encourager.